Publié le 13 janv. 2021 à 10:30Mis à jour le 13 janv. 2021 à 16:03

Les entreprises du numérique qui échappent à l’impôt en France ont du souci à se faire. Le 11 décembre, le Conseil d’Etat a rendu une décision qui, si elle est passée inaperçue dans le grand public, a fait l’effet d’une bombe chez les fiscaux.

La plus haute juridiction administrative a reconnu que la filiale française d’une société ayant son siège social en Irlande constituait un «établissement stable». Cette qualification, qui obéit à une notion très précise en matière de fiscalité internationale, signifie que cette entité doit se soumettre à l’impôt sur les bénéfices dans l’Hexagone.

L’affaire remonte à 2015. Moins médiatique que le contentieux Google de plus d’1 milliard d’euros, elle a néanmoins fait du bruit au Parlement car elle relève de la même logique. Elle concerne un groupe américain dénommé Conversant (Valueclick à l’époque) et acquis par Publicis en 2019. Comme nombre de géants du secteur, le groupe de publicité en ligne avait choisi de mettre son siège en Irlande et exerçait une activité en France via une société soeur. Cette dernière s’est vue infliger un redressement de plusieurs millions d’euros par les services du fisc en 2015. Mais, après trois ans de procédure, elle a bénéficié d’une annulation prononcée par la Cour administrative d’appel de Paris, à l’instar de Google.

Convention entre la France et l’Irlande

La décision du Conseil d’État va non seulement renvoyer l’ex-Valueclick devant les tribunaux mais elle va aussi ouvrir des opportunités à l’administration fiscale à l’attaque des sociétés qui, jusque-là, se croyaient protégées par la convention signée entre la France et l’Irlande ou par d’autres accords rédigés en des termes identiques.

« C’est une décision audacieuse et à contre-courant de la pratique internationale », Souligne Daniel Gutmann, chargé de la doctrine fiscale chez CMS Francis Lefebvre Avocats. « Le Conseil d’État considère que, si la filiale française prend, de manière habituelle, des décisions sur les transactions que la société irlandaise ne fait qu’entériner – et qu’elle peut ainsi engager cette dernière -, alors il y un établissement stable. Cela veut dire que le groupe est imposable ici. »

Un mode opératoire bien connu

Si cette interprétation est nouvelle, le mode opératoire visé est, lui, bien connu: des multinationales présentent leur entité française comme un simple prestataire de services intragroupe rémunéré sur la base de ses coûts de fonctionnement (majorés d’une petite marge) et n ‘ ayant pas le pouvoir de décider pour la société mère en Irlande. Un montage qui leur permet de payer moins d’impôts.

Dans le cas de Conversant, le rapporteur auprès du Conseil d’Etat a justement déconstruit cette représentation: il a mis en lumière toute la chaîne d’activités effectuées dans l’Hexagone et insiste sur les effectifs près de dix fois supérieurs à ceux qui se trouvent dans l’entité irlandaise.

Taxe Gafa

« Jusqu’ici, il était largement admis que les Gafa avaient pas d’établissement stable. C’est au nom de ce postulat et pour remédier à la faiblesse des recettes fiscales générées par les géants du numérique que la France a instauré sa taxe de 3% sur le chiffre d’affaires en 2019 », Explique Daniel Gutmann. « Ces groupes ont donc maintenant de se retrouver doublement imposés, même si, la taxe Gafa est quand même déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ». Cette épée de Damoclès pourrait pousser certains groupes à repenser leur stratégie fiscale.

La reconnaissance de l’établissement stable changera-t-elle la manière de procéder de l’administration fiscale? En 2019, le règlement du contentieux Google par une Convention judiciaire d’intérêt public »- autrement dit un accord transactionnel avec la société – avait soulevé des critiques. Certains considéraient que si le Conseil d’Etat avait requalifié Google France d’établissement stable, la facture aurait été plus élevée. En outre, avec la Convention judiciaire, l’entreprise n’a pas eu à reconnaître sa culpabilité et s’est assurée de ne jamais être poursuivie au pénal sur cette affaire. Bercy est désormais le choix des armes contre les Gafa.

Taxe Gafa: la France tend la main à Biden

Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a indiqué lors de ses voeux à la presse mardi que «La France se donne jusqu’à l’été pour convaincre les Etats-Unis de Joe Biden avoir une solution OCDE» en matière de fiscalité des multinationales du secteur du numérique. Les discussions entre 120 pays, qui étaient conduites sous la houlette de l’organisation internationale basée à Paris, ont avorté l’automne dernier en raison de l’opposition de l’administration Trump. Si un accord avec les Etats-Unis n’est pas trouvé dans le courant du semestre, la création d’une taxe Gafa européenne redeviendra la priorité.

Article publié le 2021-01-13 10:30:09

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